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 Le 150ème anniversaire des Chorégies d’Orange correspondant, en fait, à une double ponctuation.

 

D’abord celle de sa naissance. C’est effectivement dès 1825 que le théâtre antique commence d’être restauré et qu’en 1869 sont créés les fêtes romaines avec une production opératique  Joseph  d’Etienne Nicolas Méhul dont on exhume actuellement certaines œuvres. C’est, de fait, le plus ancien festival de France et le premier à avoir réhabilité les spectacles de plein air.

Ce n’est qu’en 1902 que la manifestation prend le nom de Chorégies – en référence aux chœurs – en raison de l’exceptionnelle acoustique du lieu dont le mur de scène renvoie presque parfaitement les sons.

 

De grands artistes, telle Sarah Bernhardt, s’y produiront tant dans le domaine de l’opéra que dans celui du théâtre. Mais ce dernier abandonne les Chorégies en 1969 au profit du Festival d’Avignon. Le lieu devient donc exclusivement consacré à l’art lyrique et l’immense scène des Chorégies verra défiler, au fil des années, tout ce que l’art lyrique comprend de grands noms.

Ensuite, cet anniversaire ponctue aussi la transmission. Si Raymond Duffaut est immédiatement et historiquement associé aux Chorégies d’Orange, c’est maintenant Jean-Louis Grinda, le Directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, qui, depuis 2016, préside aux destinées de cette manifestation et à sa programmation. Il signe, après Mefistofele de A.Boito, sa seconde saison en proposant Guillaume Tell la dernière œuvre lyrique de Giaocchino Rossini.

En 1824, au sommet de la gloire, Rossini décide de s’installer à Paris qui est alors une capitale artistique majeure où nombre de compositeurs européens viennent cherche la consécration et la diffusion de leurs œuvres.

Il signe un contrat avec le Ministère des Beaux-Arts que dirige le redoutable vicomte de La Rochefoucauld. Outre le fait qu’il soit nommé directeur de la musique et de la scène du Théâtre royal italien, il doit aussi composer des ouvrages pour l’Académie royale de musique.

Mais Rossini tarde à honorer ses commandes – deux nouveaux opéras – et la presse et les milieux politiques s’impatientent.

En 1825, toutefois, Rossini livre un dramma giocoso italien sur un argument français : ce sera Il viaggio à Reims donné au Théâtre des Italiens. Puis en 1826 des adaptations françaises d’opéras italiens : Maometto II devient Le Siège de Corinthe - à l’affiche du Festival de Pesaro en 2018 – et, en 1827, Moïse et Pharaon version française de Mosé in Egitto.

Pour honorer sa commande, il signe en 1828 Le Comte Ory qui reprend largement le matériel musical du Viaggio a Reims.

La même année filtre l’information que le « cygne de Pésaro » s’attelle à un nouvel ouvrage où le librettiste pressenti est Eugène Scribe, l’un des principaux artisans du grand opéra français. Mais Rossini écarte le projet de Scribe Gustave III que mettra en musique F.D.E Auber en 1833 et celui de La Juive que Fromental Halévy proposera au public, avec le succès qu’on sait, en 1835.

Rossini va porter son choix sur un livret d’Etienne de Jouy – le librettiste de La Vestale de Spontini - qui est une adaptation du drame de Schiller Wilhem Tell. Si Rossini a des réserves sur le texte, il semble que le thème de l’oppression d’une nation sur l’autre – la grande histoire – que double parallèlement un conflit beaucoup plus personnel – la petite histoire – l’ait séduit car elle se trouve dans la droite ligne des deux derniers opéras cités peu avant. Un aide-librettiste, Hippolyte Bis – un nom prédestiné ! –doit resserrer le livret et trouver une nouvelle fin.

Peu après mais toujours en 1828, la Revue Musicale[1] publie un article annonçant que « Rossini a promis d’écrire un ouvrage : je crois qu’il tiendra sa parole, et que Guillaume Tell sera digne de son grand talent ; mais lui-même a déclaré qu’il ne cédait qu’à la promesse qu’il a faite, et que cet opéra serait le dernier qui sortirait de sa plume ».

A cette période, Rossini avait écrit plus de la moitié des quatre heures que durerait l’œuvre entière. Le ministre des Beaux-Arts voulait une première au début de 1929. La grossesse de la prima donna assoluta – Laure Cinti – et l’incapacité de sa remplaçante de faire face au rôle sous les huées du public entraînèrent un report de la présentation de l’œuvre.

Rossini profita de cette conjecture pour faire pression sur La Rochefoucauld en exigeant une pension d’état de 6000 francs par an payable sans contrepartie créatrice. Il obtiendra finalement gain de cause et les contrats furent signés par Charles X en personne. Guillaume Tell fut donné pour la première fois le 3 Août 1829 et connut, de fait, un immense succès public. Outre l’opéra lui-même, cela était dû d’abord aux somptueux décors de P.L.C.Cicéri qui s’était déplacé en Suisse pour y faire des croquis et saisir l’ambiance locale mais aussi aux effets spéciaux spectaculaires déployés lors de la tempête qui clôt l’œuvre.

La révolution de 1830 qui chassa Charles X du pouvoir mit un terme brutal aux espoirs de retraite dorée du compositeur. Sa liste civile, comme celles d’autres artistes, fut supprimée. S’en suivit une longue bataille juridique pour récupérer l’argent promis. Doit-on voir comme le suggère Jay-Taylor la raison fondamentale de son « grand renoncement » ?

Toutefois, le « retrait » de Rossini, qui vit désormais au-dessus du Théâtre des Italiens, ne l’empêche nullement de prêter la main aux autres compositeurs italiens qui, comme je le rappelais, viennent trouver la gloire et la consécration à Paris : Bellini, Donizetti, Mercadante et Verdi… Fâche par ses déboires juridiques, Rossini, en 1836, quitte Paris et retourne en Italie. Il mourut toutefois a Passy en 1868!

Il est normal de ranger Guillaume Tell sous la bannière du grand opéra français tel que le définirent, un peu plus tard, Meyerbeer et Scribe son librettiste. Il fallait, pour satisfaire au genre, articuler un cadre historique se déployant dans des proportions monumentales qui se devait d’être couplé à une intrigue plus intimiste tout en incluant un ballet. Tel est, en effet, le cadre de Guillaume Tell

Si le grand opéra français se termine généralement mal pour les principaux personnages – Don Carlos est contraint à l’exil pour échapper à la vengeance de son père, les deux héros des Huguenots sont assassinés et Rachel de La Juive périt sur le bûcheril en va différemment dans Guillaume Tell puisqu’après la violence des combats, les exactions de l’oppresseur, l’orage et la tempête du dernier acte, les personnages retrouvent le cadre idyllique d’une Suisse apaisée et pastorale baignée dans la lumière naissante d’un jour magnifique. La nature, thème éminemment romantique, à l’instar de Mathilde qui préfère le bruissement calme de la forêt aux fastes des palais, introduit un contrepoint à la violence des combats qu’ils soient ceux de la guerre que se livrent les suisses et les autrichiens ou les conflits internes que suscitent chez les personnages le choix de la ligne qu’ils doivent suivre : résister ou se soumettre.

Ce qui était règle absolue dans l’opéra-comique français – un dénouement heureux – vient, assez curieusement, faire émergence à l’issue des épreuves traversées par les protagonistes en mélangeant le style italien et le goût français. C’est d’un côté, Guillaume Tell confronté d’abord à l’humiliation de devoir plier le genou devant un militaire ivre de pouvoir puis au risque impensable de tuer son propre enfant. C’est de l’autre, le cas d’Arnold qui doit choisir entre son cœur qui le pousse à aimer la princesse ennemie et le devoir qu’il a de devoir venger son père. Enfin et surtout en accordant aux chœurs la lourde tâche de représenter le peuple suisse qui triomphe collectivement de la barbarie de l’oppresseur pour pouvoir récupérer la sérénité qui sied à ces lieux habituellement tranquilles.

Comme le dit élégamment Claire Delamarche dans la présentation du livret[2] : « Le guerrier et pastoral, qui alternent au fil de l’ouvrage, se rejoindront dans le dernier tableau : au plus fort du combat, l’orage éclate et le lac se déchaîne ; à la violence des hommes fait écho celle de la nature, et l’anéantissement du tyran se fait sur fond d’arc-en-ciel. ».

L’ouverture célèbre de ce dernier opéra de Rossini est à ce titre exemplaire même si elle est souvent diffusée amputée de la première partie ce qui est regrettable car cela sacrifie le sens de l’assemblage voulu par le compositeur de deux morceaux antithétiques.

Cette première partie est essentielle car elle traduit bien, ancrée qu’elle est dans les traditions et la culture du pays, le calme dans lequel ce pays paisible vit dans ses différents cantons. Rossini fit des recherches et utilisa des airs suisses authentiques comme le ranz des vaches qui était joué, au cor ou à la cornemuse, par les bouviers qui veillaient à leurs troupeaux. Ce qui explique l’importance du cor anglais tout au long de la partition soit pour symboliser le côté alpestre en lien avec le ranz des vaches soit, à pleine puissance, pour colorer la puissance des sbires de Gesler, le terrible gouverneur.

La seconde partie, plus classique de l’écriture de Rossini, ressemble à la force d’une armée qui balaierai tout sur son passage ou à l’orage qui éclate à la fin de l’œuvre. Et dans un retour très élégant, les dernières notes de l’opéra de Rossini renouent avec l’introduction de l’ouverture comme lorsqu’après la tempête revient le calme. La boucle est bouclée.

Guillaume Tell n’appartient pas encore au grand opéra français tel que Meyerbeer en jeta les bases avec Robert le Diable mais il rompt, en partie, avec les modes habituels de l’écriture du « cygne de Pésaro ». Rossini ne se concentre pas uniquement sur les aspects spectaculaires mais donne sa place au drame humain en même temps qu’il donne une description sans concession de l’arbitraire brutal et violent. Il signe également une condamnation sans appel d’une forme de violence politique qui s’inspire directement de l’Esprit des Lumières et, en 1830, de la révolte contre les tyrannies. Cette optique était déjà au cœur de son opéra de 1820, Maometto II devenu Le siège de Corinthe, en 1826 à Paris, qui évoquait aussi la lutte des grecs pour se libérer du joug ottoman.

Le théâtre antique d’Orange était plein pour cette unique représentation de Guillaume Tell mis en scène par Jean-Louis Grinda son actuel directeur. Et, par ailleurs, directeur de l’Opéra de Monte-Carlo où cette œuvre fût montée en 2015.

La mise en scène que nous propose J.L.Grinda reste méthodiquement et scrupuleusement fidèle au livret. Et, ô miracle, ne déplace pas l’action dans quelque république bananière en proie au joug d’un dictateur sanguinaire. D’ailleurs, il n’est pas utopiste de penser que le spectateur soit tout à fait capable de se livrer lui-même à cette transposition ! Il peut, subrepticement, oser des rapprochements entre les situations politiques évoquées dans l’opéra et celles de pays où il devient soit obligatoire de ployer le genou devant les symboles du pouvoir soit de subir les exactions portées sur les corps rétifs aux « bienfaits » de la dictature.

La ligne que suit le metteur en scène est celle du livret ainsi que celle de la mise au service de ses compétences artistiques au bénéfice du propos rossinien. C’est-à-dire de ne pas faire violence à l’œuvre et au compositeur en lui superposant un sur-texte ou en inventant un contexte qui, en brouillant les pistes, reviendrait à ne plus viser la pomme mais le pauvre enfant/œuvre qui se trouve en dessous !

Que l’on entende bien. Ce propos ne vise pas à faire l’apologie d’un conservatisme indécrottable et suranné visant au respect forcené du texte et des didascalies. Mais à suggérer que dans une œuvre puissante comme Guillaume Tell, dont le livret a été remanié, corrigé et probablement amélioré, une sur-explication ne s’impose pas tant le propos est clair et construit. Il conduirait à tuer la dimension symbolique traduite par le tir à l’arbalète du père en direction de son fils pris pour cible. Symbolique voulant dire que cette image ne se réduit pas à l’horreur de ce qu’elle montre. Loin de se cantonner au seul destin de la Suisse, elle a une portée générale et une visée qui transcende son propos pour lui donner la dimension universelle de l’oppression aveugle et de la contrainte gratuite.

Tout le monde peut alors comprendre que, par cette consigne abjecte, le tyran vise à la reddition complète de ce qui fait l’honneur et la fierté de l’homme : son rôle de père. Au travers de la flèche qu’il décoche en direction de son fils : c’est lui-même qu’il est invité, dans le même mouvement, à tuer.

Rappelons pour mémoire que rien dans l’histoire avec un grand H ne permet d’authentifier la véracité de cette séquence du tir. Elle relève donc de la légende et vise, par son symbolisme, à stigmatiser la folie du pouvoir absolu – donc la folie du tyran – dont l’issue – qui relève du miracle – montre que la volonté de l’opprimé, au prix de grandes souffrances, laisse entrevoir d’autres possibles et des lendemains plus chatoyants. Nul n’est donc, comme l’histoire l’enseigne, à l’abri d’un retournement de situation.

Le travail du décorateur, Eric Chevalier, en privilégiant ce que les technique audio-visuelles modernes offrent de plus performant permet de ne plus être victime, comme dans d’autres productions du même opéra, de la tyrannie du décor unique qui aboutit malheureusement souvent à celle du contresens. Les forêts caressées par le vent, les alpages verdoyants, le château gris, imposant et sévère, le lac près du village où se déploie la tempête sont autant d’éléments qui encadrent et renforcent les quatre actes de l’œuvre que le travail des lumières de Laurent Castaing sculpte magnifiquement avec une mention spéciale pour le dernier acte où une aube nouvelle, ensoleillée et réparatrice vient très progressivement reconfigurer ce qui a été détruit au profit de la nuit, de l’ombre et du froid pour voir renaitre un jour qui prend de plus en plus de puissance. Les costumes (F.Raybaud) ne reprennent pas la thématique historique de l’action – soit 1307 - mais plutôt celle de l’époque rossinienne suggérant par là même que, peut-être, Rossini parle aussi de son époque sans qu’il soit obligatoire de la transposer dans la nôtre comme il fut fait à Pesaro pour Mosé in Egitto.

Le travail des chœurs du Capitole de Toulouse et de l’Opéra de Monte-Carlo sous les directions respectives d’Alfonso Visconti et de Eric Bélaud est à l’unisson d’une production tournée non pas vers le spectaculaire mais sachant concilier à la fois les grandes scènes héroïques et paradoxalement les moments plus intimistes où la somme des douleurs de chacun des membres du chœur finit par constituer une plainte déchirante portée comme par une seule voix.

La distribution est « paradoxalement » homogène ! Les rôles des personnages y sont assez divergents : l’héroïsme guerrier de Tell (N.Alaimo), celui plus modeste de Ruodi (C.Dubois) soutenu par la froide détermination de Furst (N.Cavalier) et de Leuthold (J.Véronèse) contrebalancent les atermoiements coupables d’Arnold ( C.Albeto). Les affrontements vocaux y sont parfois rudes, quelques fois violents pour traduire la force des enjeux qu’ont à affronter les différents personnages. Ils représentent, chacun dans leur rôle et dans leur tessiture, autant de réactions possibles lorsque des gens ordinaires doivent faire face à des situations extraordinaires dont leur survie physique ou mentale dépend. Et leur unité vocale – ce sont tous d’excellents chanteurs - est aussi, finalement, une figure du front uni à constituer face au prédateur !

Les personnages féminins de la distribution tant Mathilde (A.Massis) qu’Hedwige (N.Gubisch) sont, dans l’œuvre présentée, des figures d’une nature par essence apaisante et consolatrice. Et surtout renonciatrice, c’est-à-dire n’ajoutant pas un conflit au conflit existant. Mathilde comprend la décision d’Arnold quoiqu’il lui en coûte et Hedwige tente, tant bien que mal, de survivre au milieu de la tempête déclenchée autour de son mari et de son fils qu’elle peut, tour à tour perdre. En cela les deux femmes sont proches comme le montre leur rencontre avant la tempête finale. Elles œuvrent dans un climat guerrier, délétère et morbide pour que la vie persiste au-delà de leur appartenance à des camps opposés.

Le fils de Guillaume Tell, Jemmy, est un rôle travesti (J.Devos) en parfaite indentification avec son père que, dans la scène capitale, paradoxalement il rassure sur son habileté. Par ses attaques perfides, Gesler a, comme je le précisais peu avant, soumis l’identité de Guillaume Tell à un terrible vacillement que Jemmy cautérise.

Le rôle du méchant Gesler (N.Courjal) est inquiétant au-delà du pensable. Il distille avec soin son venin pernicieux et semble prendre plaisir à semer la désolation et la terreur en même temps qu’à voir souffrir les autres comme si tout affect, tout sentiment s’était éteint en lui.

La direction musicale de Kazuki Yamada à la tête de l’Orchestre Philarmonique de Monaco fût, à juste titre, ovationné par le public qui apprécia une direction à la fois ferme et virile dans les parties héroïques et terriblement sensible et nuancée dans les moments rupestres.

Berlioz, si l’on en croit le numéro de La gazette musicale d’Octobre 1834 incluse dans le programme des Chorégies ne tarit pas d’éloges sur l’œuvre. « Il faut avouer écrit-il que l’ensemble du morceau est traité avec une supériorité incontestable, une verve telle que Rossini n’en avait pas encore montré de si entraînante et que l’ouverture de Guillaume Tell est une œuvre   d’un immense talent qui ressemble au génie à s’y méprendre. ».

Et un peu plus loin à propos de l’acte 2 « Ah ! c’est sublime. Respirons. ».

Peut-on raisonnablement contredire Hector Berlioz?

                                                        

Jean-Pierre Vidit  

   

 

 

[1] Citée par S.Jay-Taylor dans la présentation de l’œuvre incluse dans le CD Warner Classics 2011 de l’œuvre.

[2] C.Delamarche Guillaume Tell. Giaocchino Rossini Programme des Chories d’Orange 2019