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Bon sang ne saurait mentir

La disparition récente du ténor André Mallabrera réveille de nombreux souvenirs chez les Oranais. Les mélomanes connaissaient, au moins de réputation, cette famille qui, au XXe siècle, donna à la France, deux grands interprètes de l’art lyrique. Car, avant André, il y eut, son père, José. Les habitants d’Oran, en passant dans la rue d’Arzew, artère la plus animée de la ville, ne pouvaient ignorer la bijouterie familiale dont l’enseigne révélait le véritable patronyme des propriétaires : Mallebrera.

  

C’est un directeur d’opéra qui, trouvant ce nom difficile à prononcer, conseilla à José ce changement vocalique. Ce dernier, né en 1907 à Oran, petit-fils d’un immigré venu de Monóvar (Province d’Alicante), dans la seconde moitié du XIXe siècle, et fils d’un tonnelier, avait appris le métier d’horloger-bijoutier, tout en suivant des cours au Conservatoire d’Oran où il obtint un premier prix de chant et d’opéra en 1927. Études qu’il alla compléter l’année suivante à Toulouse. Il donna dès 1933 des récitals dans sa ville natale, puis il se produisit en métropole dans les principaux opéras de province et en Belgique. Il débuta sur scène, à l’Opéra d’Alger, en 1941 dans Faust et Madame Butterfly. La fin de la Zone libre, en 1942, eut un effet d’aubaine pour les opéras d’Afrique du Nord : tous les artistes lyriques qui avaient fui Paris, puis le sud de la France, se produisirent dans les grandes villes de Tunis, Alger, Oran, pratiquement tous les soirs. Les mélomanes en parlaient des années après, encore émerveillés par ce festival inattendu. José Mallabrera se trouva ainsi confronté aux grands noms de l’époque, César Vezzani, José Luccioni, entre autres ténors. Le public appréciait sa voix bien timbrée, son aisance dans l’aigu. Il intégra l’Opéra-comique en 1947, où il interprétait Des Grieux (Manon), Rodolphe (La Traviata, La vie de Bohème), Gérald (Lakmé), Nadir (Les Pêcheurs de perles), Pinkerton (Madame Butterfly). C’est en 1949 qu’il débuta à l’Opéra de Paris, dans le Duc de Mantoue (Rigoletto). Marcel Lamy, qui fut directeur de l'Opéra-Comique (1959-1961), le jugeait idéal dans les rôles qu’il avait abordés. Mais des ennuis de santé obligèrent José Mallabrera à abandonner la scène et aucun témoignage sonore de sa voix ne nous est parvenu.

Boieldieu, La Dame blanche, air « Viens, gentille dame… »

Mais il avait un fils, André, né à Oran, le 15 juin 1934. Tout naturellement l’enfant a baigné dans l’univers de l’opéra, puisque sa mère, excellente pianiste, accompagnait son mari dans ses exercices vocaux à la maison. Mais son père exigea qu’il fît des études sérieuses, au lycée Lamoricière, et il lui apprit le métier d’horloger. Ce n’est que lorsque André partit faire son service militaire à Alger qu’il fréquenta le Conservatoire de cette ville. Il ne devait pas avoir grand-chose à découvrir dans l’art du chant, puisque, dès 1954, à vingt ans, il se produit au Théâtre de Verdure d’Alger dans Mireille, en compagnie de deux compatriotes, le baryton Pierre Le Hémonet (son aîné de quatre ans, qui est décédé à l’âge de 87 ans, en juillet dernier) et la soprano légère Lucienne Denat, qui a été une brillante Traviata et qui appartenait, dans la généalogie des chanteurs oranais, à la génération précédente.

Cette première prestation dans le rôle de Vincent permet de définir le registre où André Mallabrera excella : celui du ténor léger ou tenore di grazia, une voix très à l’aise dans l’aigu et très agile dans les vocalises. C’est la tessiture qu’exige le rôle d’Amalviva du Barbier de Séville de Rossini. C’est celui que chanta notre ténor, en 1958, pour ses débuts à l’Opéra-Comique où il avait été admis dès sa première audition. Il y restera pensionnaire jusqu’à la fermeture de cet établissement, en 1972.  Almaviva resta le rôle fétiche d’André Mallabrera puisqu’il le chanta plus de 250 fois, la dernière ayant eu lieu au Théâtre des Arts de Rouen, en 1988. À l’époque, ces opéras étaient donnés en français. Des extraits parus chez Vega n’ont jamais été reportés en CD. Le ténor aura l’occasion de chanter cet opéra en italien à l’Opéra de Paris, aux côtés de José Van Dam. Selon Marcel Lamy, la « vocalise d'André, précise, perlée, le prédestin[ait] aux roulades empanachées des jeunes premiers rossiniens ». Mais il excellait aussi dans Ernesto (Don Pasquale) Nadir (Les Pêcheurs de Perles), dans le répertoire lyrique français du XIXe siècle, comme Si j’étais roi, La Dame blanche, La fille de Madame Angot (Pomponnet), Louise (le noctambule et le Pape des fous) ou les œuvres en version française comme La Chauve-souris (Alfred). Sans pour autant négliger des œuvres plus modernes comme L’Heure espagnole de Ravel (rôle de Gonzalve).

Son répertoire comporte, outre ceux déjà cités, les rôles de Wilhem (Mignon), Nathanaël (Les Contes d’Hoffmann qu’il chanta en 1972, dans la version mise en scène de Chéreau à l’Opéra de Paris, et enregistré par ailleurs, sous la baguette d’André Cluytens, chez EMI, aux côtés de Nicolaï Gedda et de Victoria de Los Angeles), Schmidt (Werther, gravé avec les mêmes). En 1962, il fit son entrée à l’Opéra de Paris, en Hylas dans Les Troyens avec Régine Crespin et Guy Chauvet. Il y chantera également un berger dans Tristan et Isolde et, pour le centenaire de l’opéra de Monte-Carlo, l’un des trois ministres, Pong, dans Turandot. Sa carrière, à partir de 1973, se déroulera dans les grands théâtres de province, les pays francophones, ainsi qu'à Madrid, Oxford, Rome et Bologne.

N’oublions pas son tribut à l’opérette dont il enregistra de nombreux titres, hélas, pas toujours disponibles aujourd’hui. Il fut un remarquable Camille de Coutençon (La Veuve joyeuse, EMI), ou Gustave (Le Pays du sourire). Mais il ne faut pas négliger un autre domaine où la voix d’André Mallabrera fit merveille, celui du répertoire du baroque français que l’on commença à redécouvrir dans les années cinquante. Ce dont témoigne le coffret Erato, édité en 2014, qui reprend des enregistrements, en mono, d’œuvres de Campra, sous la direction de Louis Frémaux, avec l’Orchestre Philarmonique de Monte-Carlo. Mallabrera avait la ductilité vocale d’un haute-contre, avant qu’on ne redécouvre cette pratique oubliée du chant.

La voix d’André Mallabrera, mise en valeur par une technique impeccable du diminuendo et des nuances, ce qui n’excluait pas un aigu brillant, avait un charme particulier : celle d’un timbre chaud, ensoleillé, alors que ce type de voix manque parfois de couleurs. Des caractéristiques que l’on retrouvera, magnifiées, chez un Juan Diego Florès. Il est vrai que leur point commun est la latinité. Or, Marcel Lamy, déjà cité, comparant le père et le fils Mallabrera, disait de ce dernier, en 1961, qu’il avait les qualités vocales de son géniteur, « et la gentillesse, la race aussi ». Mot tabou aujourd’hui qui désigne ici une culture, une façon d’être. Pour ce directeur de théâtre, recruteur de talents, l’origine géographique des artistes n’est pas neutre : « Cette terre algérienne, dont Salluste vantait déjà les bénéfiques croisements ethniques, abonde en crus et en vocalistes capiteux. Le style des Mallabrera, à mi-chemin de l'ibérique tuf musical, de l'onction italienne et de la tempérance française, revivifie sans emphase les succès populaires des Miguel Fleta et des Tito Schipa. »

À l’heure de la dénonciation du « crime contre l’humanité » que constitue, aux yeux de certains, la présence française en Algérie, il est réconfortant, même au moment de leur disparition, de saluer la mémoire des artistes venus d’Afrique du Nord. Ils ont porté haut les couleurs de l’art du chant français. Il est essentiel de rappeler, pour eux comme pour nous, d’où venaient ces personnalités remarquables dans tous les sens du terme.

Danielle Pister, vice-présidente du CLM