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350ème anniversaire de l’Opéra de Paris. LES HUGUENOTS de MEYERBEER

Stéphane Lissner, avec la reprise des Huguenots de Meyerbeer, ouvrait, en grande pompe, les festivités du 300ème anniversaire de la naissance de l’Opéra de Paris dont il est le directeur artistique.
Les Huguenots ont quitté l’affiche depuis quatre-vingt-deux ans, le 28 Novembre 1936 pour être précis. Soit 100ans après sa première représentation puisque la création de l’œuvre date du 29 Février 1836. Plus de mille cent représentations eurent lieu entre la création de l’œuvre et sa disparition du répertoire de l’Opéra. On a presque de la peine à imaginer un tel succès. Plus proche de nous, dans les dernières années, cette œuvre n’est que très rarement au frontispice des maisons d’opéra.


C’est donc un évènement artistique important. Il remet à l’affiche un succès indubitable du répertoire du grand opéra historique tel que Meyerbeer, et quelques autres, en ont jeté les bases dans le courant du XIXème siècle.
Sa réalisation demande des moyens et, surtout, un plateau vocal exceptionnel puisqu’il s’agit non de conter l’histoire de deux ou trois personnages pris dans les rets d’une intrigue généralement amoureuse, mais de représenter un fait historique, ici, le choc de factions qui écrivirent, en raison même de la violence de leurs affrontements, une des pages les plus noires de l’histoire de France : le massacre de la Saint Barthélémy le 24 Août 1572 dans laquelle sont aussi emportés les personnages principaux.
Mais ce projet est en même temps un pari !
Quel lien et quels échos, ces évènements peuvent-ils susciter chez un spectateur actuel en comparaison de l’engouement de ceux du XIXème siècle ?
Cette œuvre qui, malgré deux entr’actes, dure plus de quatre heures est démesurée si on la compare au format standard des œuvres généralement programmées. La démesure n’est donc pas seulement dans le sujet : le déferlement des passions meurtrières qui conduisirent une communauté à tenter d’éradiquer l’autre pour des motifs religieux ! Elle est aussi dans le traitement du sujet qui détaille en cinq longs actes les différents paliers de cette tragédie tout en restituant le climat historique dans lequel elle se déploie et va broyer les personnages principaux.
L’œuvre peut-elle, malgré tout, capter les spectateurs avec autant de force qu’au siècle dernier ? Doit-on nécessairement souligner que les thèmes forts de l’œuvre – l’intransigeance, le fanatisme idéologique, la différence – sont toujours d’actualité ? Peut-on interroger le futur à la lueur du passé ?
Ou bien, plus modestement, s’agit-il de découvrir pour communier et participer de la manière dont le grand opéra historique « « à la française » était représenté à cette époque qui, au-delà de l’aspect esthétique, offrait, aussi, aux spectateurs la possibilité d’une réflexion sur l’intolérance ?

 

Mais revenons aux Huguenots.
Il faut signaler, tout d’abord, que les Huguenots de Meyerbeer, après la dernière représentation du 28 Novembre 1936, restent le plus grand succès de l’Opéra de Paris derrière le Faust de Gounod.
Le retour des Huguenots au répertoire de l’Opéra de Paris renoue avec un genre – le grand opéra historique appelé aussi grand opéra à la française – qui, après avoir balayé le modèle de la tragédie lyrique, initiée par Lully et Quinault, s’impose, au XIXème siècle, sur la scène parisienne qui voit, ainsi, s’accomplir une sorte de révolution.
Le grand opéra historique devient le genre dominant à partir d’un bouquet de quatre œuvres : La Muette de Portici d’Auber en 1828, Guillaume Tell de Rossini en 1829, Robert le Diable de Meyerbeer en 1831 et La Juive d’Halévy en 1835.
Ces quatre œuvres imposent un nouveau modèle qui va régner tout au long du XIXème siècle et semble correspondre au goût du public bourgeois qui se passionne pour l’histoire.
Il s’y précipite et se « montre », aussi, à l’opéra pour afficher sa réussite. Comme, dans un genre différent, se développe le même mouvement d’engouement pour Offenbach, grand admirateur de Meyerbeer, dont les salles se remplissent de spectateurs venus rire des travers de personnages issus de la mythologie ou des contes médiévaux - donc de l’histoire - qui les renvoient à des figures connues et, en dernière analyse, à eux-mêmes !
Le grand opéra historique est, par ailleurs, subtilement ancré dans la tradition capitaliste en pleine expansion. De la munificence : une débauche de décors, de machinerie, de choristes, de figurants, de machinistes sont au service d’un spectacle qui ne ménage pas ses effets…ni ses coûts ! Il renvoie, comme l’avait fort bien pressenti Véron, le Directeur de l’Opéra de l’époque, à ceux qui y assistent l’image de la puissance et du faste.
Mais qu’est-ce au fond le grand opéra ?
Il naît quelques années avant que, précisément, Louis-Désirée Véron, directeur-entrepreneur de l’Opéra de Paris qui, de 1831 à 1835 , n’en conceptualise les caractéristiques. Il en fût le promoteur actif avec des créations qui tracent les lignes de démarcation de ce nouveau genre : Robert le Diable de Meyerbeer, Gustave III d’Auber, La Juive d’Halévy dont les livrets sont signés par le même librettiste : Eugène Scribe.
Ce dernier, homme de lettres mais surtout de théâtre accompli, est incontestablement une des figures marquantes et une personnalité incontournable du milieu théâtral français de cette époque. Paradoxalement, il est assez décrié tant par certains artistes – Georges Sand en particulier – que par des critiques comme Jules Janin, du Journal des Débats. Scribe ne veut pas, comme d’autres, laisser une œuvre littéraire. Il veut juste, dirait-on, proposer au compositeur une trame dramatique valable apte à la musique que le musicien saura harmonieusement composer.
Meyerbeer, après le succès considérable de Robert le Diable, s’allie au librettiste dès 1832 pour la composition d’un nouvel ouvrage. L’écriture du livret, celle de la musique, la préparation des décors, les répétitions sont laborieux et retarderont la création qui n’aura lieu qu’en 1836.
L’art de Scribe vise l’effet à produire sur le spectateur. Il souhaite le tenir en haleine et, surtout, de ne pas en arriver trop directement à la conclusion du drame. Le librettiste, dans cette perspective, ne vise pas la beauté de la versification ni de faire une œuvre définitive, plus modestement, il veut offrir au musicien des situations qui permettent une grande diversité d’émotions, de scènes pittoresques que le compositeur saura mettre en musique.
On comprendra mieux cette conception esthétique d’étirement de l’histoire et de descriptions du climat par petites touches en remarquant que l’intrigue principale des Huguenots, la terrible nuit de la Saint-Barthélemy, ne prend véritablement corps et sa place dramatique qu’à la fin de l’œuvre.
C’est « seulement » à la fin du 4ème acte que les catholiques se retrouvent pour sceller le pacte qui les engage à éliminer les protestants au cours de la nuit de la Saint-Barthélemy. Le début du massacre, déclenché par le tocsin, intervient à la toute fin de l’acte IV pour se déployer dans l’acte V. Tous les premiers temps de l’action « ne » servent, en quelque sorte, qu’à tisser patiemment ce spectaculaire dénouement.
Ainsi, au premier acte, nous assistons à la mise en place d’une action – la rencontre des catholiques et de deux protestants – au cours d’une fête qui est une fête organisée pour réconcilier les deux factions et, consciemment, tenter d’abaisser les tensions palpables entre les deux communuatés. Cela retarde d’autant l’intrigue principale en multipliant les éléments dramatiques annexes qui, malgré tout, renseignent le spectateur sur le feu qui couve.
Au final, le grand opéra se caractérise par cinq actes, un ballet obligatoire, sur un sujet historique. Ce peut-être le Moyen Age comme pour Robert le Diable, Guillaume Tell ou La Juive, la Renaissance pour les Huguenots et le Prophète ou le XVIIème siècle pour La Muette de Portici pour ne choisir que les œuvres les plus emblématiques.
Comme le rappelle O.Bara ,le grand opéra puise à deux sources. D’abord celle du drame romantique enraciné dans un histoire proche de celle des romans de W.Scott ou de Mérimée dont la Chronique du règne de Charles IX servit de fil directeur au librettiste.
Ensuite à une vision modifiée de l’histoire où les évènements ne sont plus le fait des seuls princes et puissants qui règlent le destin du monde mais, comme dans les Huguenots, « d’une geste collective impliquant tout un peuple traversé de forces contraires, leur conflit menant progressivement à l’avènement des nations modernes et de la liberté ».
Quand on parle de geste collective, il faut préciser que cela va infléchir le destin des voix dans l’opéra lui-même.
Dans les Huguenots, le compositeur ne se centre plus exclusivement sur le sort des personnages qui s’expriment en solistes en déployant leurs inquiétudes, leurs joies ou leurs turpitudes. Le soliste, c’est le cas du protestant Marcel chante, bien sûr, seul mais son chant est au service de la cause et veille à ramener les tièdes dans le droit chemin de la croyance. Il travaille en quelque sorte sur le groupe pour en infléchir et en garantir la rectitude idéologique.
De ce fait, apparaît une autre forme de traitement des voix. Elles sont, mais de façon plus approfondie et plus affinée, concentrées sur les factions – catholiques ou protestantes – qui seront alors représentées par des groupes opposés de chœurs très importants à la couleur spécifique. Ils deviennent les protagonistes à part entière du récit comme les solistes.
On ne compte plus d’ailleurs les scènes chorales aussi vastes qu’inédites qui donnent aux chœurs un rôle, non plus secondaire, mais de premier plan assorti d’une force dramatique particulière. Ils deviennent un personnage à part entière.
Ces chœurs traduisent la violence des enjeux entre les factions et montrent la réactivité émotionnelle de participants prêts, au moindre incident, d’en découdre par les armes. Il y a, entre les participants du chœur, une sorte de contamination émotionnelle très importante et surtout très réactive qui influe sur leur manière de chanter.
C’est, précisément, le cas dès l’acte I lors de la fête dans le château du Comte de Nevers. Ce dernier reçoit Raoul de Nangis, un gentilhomme protestant, invité pour réconcilier les protestants et les catholiques. Le chœur des catholiques, massif, s’oppose au chant solitaire du protestant que, soudain, vient appuyer celui d’un autre huguenot : Marcel, sorte de représentant de la conscience collective et du devoir d’orthodoxie, qui ne ménage pas la provocation, en entamant un chant de guerre de son propre camp huguenot.
Cette utilisation d’un chant de guerre typique des huguenots rejoint, autre nouveauté à peu près similaire, la citation – au sens littéraire du terme – du choral de Martin Luther « Ein feste Burg ist unser Gott » qui signifie « C’est un rempart que notre Dieu ». Il s’agit, en quelque sorte, de l’importation de musique ancienne puisée à d’autres sources mais destinée à faire « couleur locale » même si, historiquement, cette citation appartient au courant luthérien allemand alors qu’elle est utilisée pour peindre un courant confessionnel francophone !

Faisons alors un bref retour sur Meyerbeer.
Giacomo Meyerbeer est un compositeur juif allemand né près de Berlin et mort à Paris en 1864.
C’est, avant son arrivée dans la capitale, un musicien reconnu qui, en Italie, rencontre un succès croissant en composant des opéras dans le style de Rossini qu’il considère comme son maître bien que les deux compositeurs n’aient que six mois de différence d’âge !
Installé à Paris à la suite de Rossini, il y rencontre ses plus grands succès avec trois œuvres : Robert le Diable en 1831, Les Huguenots en 1836 et Le Prophète en 1849. Sa dernière œuvre, L’Africaine, a été créée de façon posthume en 1865. Elle fût remise u goût du jour, il y a peu, à l’Opéra du Rhin
Pour comprendre son engouement pour Paris, il faut citer la lettre qu’il écrit à Nicolas-Prosper Levasseur, un artiste lyrique de tessiture basse, qui avait participé à la création de l’un de ses opéras italiens, Margherita d’Anjou, et chanté aux premières de Robert le Diable, des Huguenots et du Prophète : « Vous me demandez s’il serait sans attrait pour moi de travailler pour la scène française. Je vous assure que je serais bien plus glorieux de pouvoir avoir l’honneur d’écrire pour l’Opéra français, que pour tous les théâtres italiens (sur les principaux desquels, d’ailleurs, j’ai déjà donné de mes ouvrages).
Où trouver ailleurs qu’à Paris les moyens immenses qu’offre l’Opéra français à un artiste qui désire écrire de la musique véritablement dramatique ? Ici, nous manquons absolument de bons poèmes d’opéra, et le public ne goûte qu’un seul genre de musique. À Paris, il y a d’excellents poèmes, et je sais que votre public accueille indistinctement tous les genres de musique, s’ils sont traités avec génie. Il y a donc un champ bien plus vaste pour le compositeur qu’en Italie.»
Cette passion pour Paris lui fait écrire, à son père, en Novembre 1814 : « « Depuis des années, vous savez que je considère Paris comme l’arène idéale pour mon apprentissage dans la musique dramatique et que j’ai toujours eu une grande passion pour l’opéra français. ». De fait, à cette époque, Paris attire les musiciens du monde entier.
Dans ces deux citations, de la plume de Meyerbeer, ce qui revient est la prégnance de l’aspect « véritablement dramatique que la musique » qui doit transcrire, en écho, le déroulement de l’histoire de l’œuvre elle-même. Vont s’y mêler à la fois la grande Histoire – celle des évènements qui ont marqué les heures noires de notre pays dans l’opposition entre les Huguenots et les Catholiques – et la petite histoire : celle des hommes et des femmes, Valentine et Raoul par exemple, pris, ballottés dans ces terribles évènements qu’ils traversent.

Les Huguenots de Meyerbeer est une œuvre qui nécessite de gros moyens et une distribution de premier plan car, comme je l’ai signalé précédemment, nous sommes dans la démesure !
Ces restrictions réalistes n’avaient pas empêché Laurence Dale, alors Directeur Artistique de l’Opéra Théâtre de Metz-Métropole, de se décider à monter, envers et contre tout, cette œuvre en 2004. Grâce, en partie, à un carnet d’adresses artistiques d’amis apparemment bien fourni – Rockwell Blake, Sally River entre autres- d’un peu d’ingéniosité, d’enthousiasme et de culot pour, au final, un résultat tout à fait honorable …mais qui, délicieuse contrepartie, avait mis les finances de l’Opéra-Théâtre dans le rouge bien au-delà de la saison !
Ce qui, si l’on veut bien excuser une nuance d’humour « noir », allait assez bien avec le thème de la Saint Barthélemy !
Mais venons-en à la production de l’Opéra de Paris
J’ai été, à dire vrai, désorienté par la mise en scène d’Andréas Kriengenburg, qui, d’emblée, projette l’œuvre en 2063. Pourquoi pas ? Mais, du coup, est balayé d’un revers de main, la dimension historique, proprement dite, reconstituée au profit d’une réflexion qu’on tente de guider chez le spectateur sur ce que risque d’être, dans l’avenir, les conflits liées à l’idéologie et à l’intolérance.
En même temps que l’on découvre la date dans laquelle se situe l’action – 2063 - le cadre qui entoure la scène s’inonde de sang qui, peu à peu, découvre un décor unique blanc à deux niveaux. Est-ce à dire qu’on suggère que la catastrophe sanglante va, à cette date, nécessairement se reproduire avec la même brutalité et l’horrible violence meurtrière qu’à l’époque datée du drame de la Saint- Barthélemy ?
Ce premier moment posé, le décor, unique même si mobile, déterminera des espaces modulables dans lesquels évoluent des personnages en costumes contemporains avec fraise (c’est la note d’époque) pour les hommes et des robes du soir pour les femmes. Il n’y a plus, à proprement parlé, de changement de décors
Mais, à ne rien cacher, je dois dire que je suis resté comme en dehors de cette production qui, à bien des égards, m’a semblé froide et lisse tant elle paraît éviter ce qui est au fondement du genre : la démesure. Peut-être, aussi, sa volonté didactique comme si le metteur en scène voulait absolument nous transmettre un message d’universalité qui, à mon humble avis, est évident !
Et, surtout, un spectacle terriblement contrôlé eu égard aux passions, aux excès, à la démesure – dirait-on à l’hubris ? – que l’on pourrait raisonnablement imaginer chez des sujets pris dans la pensée obsessionnelle de supprimer et d’éradiquer ce qui ne pense pas comme soi, ce qui n’est pas comme soi ? Entre la vie et la mort, le sabre ou le goupillon ?
Un exemple ? Durant le premier acte, lors de la fête chez le Comte de Nevers, des domestiques – habillés de blanc comme le décor - offrent, selon un rituel qui devient presque un ballet immuable, des rafraichissements aux convives. Est-ce la ballet obligatoire dans les productions de grand opéra historique ? Toutefois, pendant les 1h45 que dure l’acte 1, ces figurants vont défiler selon un trajet immuable qui, selon moi, s’il n’ajoute rien à la compréhension, détourne l’attention de ce qui se trame subtilement entre les catholiques et le solitaire Raoul de Nangis sous le regard vigilant de Marcel. Est-ce à dire que ces hommes rassemblés pour la fête, comme les domestiques, tournent en rond, pris qu’ils sont dans le carcan étroit de leurs convictions et de leurs préjugés reliés à des discours aussi codés et répétitifs que les déambulations de leurs domestiques ?
Si le grand opéra français, dont, rappelons-le, le thème est historique, est un opéra à grand spectacle, c’est parce qu’il raconte une histoire : en l’occurrence celle des évènements qui ont conduit à la Saint Barthélémy qui est aussi l’Histoire.
Entre les faits historiques et la narration qu’en fait le librettiste, il y a une distance qui est celle de la subjectivité. Entre ce qui est inscrit dans nos livres d’histoire, la doxa officielle, et la manière romancée, décrite par de grands auteurs qui, comme Alexandre .Dumas , y ont situé leurs intrigues, il y a un pas, un fossé parfois, qui fait la différence entre le cours d’histoire, le roman ou l’opéra. C’est précisément ce morceau d’histoire revisitée par l’artiste, d’inspiration nettement romantique, qui est au fondement du grand opéra à la française, pas la volonté pédagogique de faire comprendre les racines de l’intolérance !
Qu’il y ait, au travers de cette Histoire (avec un grand H) une histoire (avec un petit h) où des personnages, c’est-à-dire des hommes et des femmes, pris dans ce maelström, parlent concrètement de l’intransigeance, du mépris, du fanatisme et de la haine de l’autre différent : voilà qui est évident.
Que ces évènements aient, directement ou indirectement, un aspect intemporel, peut-être même prospectif, prouvant que des factions opposées ou des clans idéologiques divers peuvent, comme l’amadou, à tout moment s’enflammer et répéter l’Histoire : il suffit pour s’en convaincre de lire la presse.
Mais, ce qui n’est pas tout à fait un parti-pris de minimalisme – comme le laisserait supposer le décor - fige d’emblée l’ensemble dans une froide neutralité d’où l’on regarde, de loin, les évènements. Il n’y a donc aucune démesure qui, elle aussi, est au fondement de ce type de répertoire.
D’autant que les chanteurs – peut-être moins les chœurs – semblaient livrés à eux-mêmes. Ils ne traduisaient pas la passion, l’intransigeance ou la violence - donc la démesure - qui embrasent mais aussi, à terme, déboussolent les tenants de ce qui sera l’une des pages les plus horribles de notre histoire de France pas plus qu’elles n’électrisent les divers couples ou individus qui peu à peu vont être broyés par cette vague meurtrière où l’horreur le dispute au sordide.
Le plateau vocal de cette production connaîtra quelques vicissitudes et quelques défections dont les causes restent mystérieuses. Ce sont, malheureusement, des défections de poids puisqu’il s’agit des deux rôles principaux.
Applaudissons, d’abord plus particulièrement, Lisette Oropesa, soprano américaine, qui triompha quelques semaines auparavant, en Août, dans Adina au Festival de Pésaro, la ville natale de Rossini. Au cours d’un récital dans le Teatro Rossini, quelques jours après, elle donna de superbes pages du grand opéra français dans une prononciation parfaite en emportant l’adhésion et les applaudissements chaleureux du public. Je dois dire que j’ai eu un doigt de compassion de la voir évoluer dans l’Acte II, dans un jardin blanc très stylisé, fort loin de la douceur des pays de Loire, les pieds dans l’eau, au milieu d’une nuée de choristes, de figurantes, de danseuses qui, là aussi, occupaient l’espace et affadissaient l’extraordinaire beauté de la partition que lui offre Meyerbeer qui passait, de ce fait, presqu’au second plan. Mais qu’elle chanta admirablement.
Le ténor coréen, Yosep Kang, remplaçait Bryan Hymel dans le rôle de Raoul de Nangis et prit, selon les rumeurs, le rôle au pied levé, sauvant ainsi la production du désastre d’une annulation. Il faut donc saluer sa performance même si le chanteur a vraisemblablement souffert à la fin de ce long rôle, difficile à porter de bout en bout.
Mais, l’un et l’autre, avec les moyens vocaux différents qui étaient les leurs, faisaient un effort louable pour insuffler à la production un souffle, une démesure qui lui faisait cruellement défaut alors que le thème des Huguenots est, précisément, la passion exacerbée qui aveugle et rend fou au point de tuer.
Cette démesure qui, si elle advenait, serait tout aussi opérante en 2063 qu’au temps de la création en 1836 et, à fortiori, à l’époque de cet épisode tragique : la Saint Barthélémy.
Car si les causes de cette démesure sont circonstanciées, la violence, elle, est intemporelle.

Jean-Pierre Vidit

Président du CLM